À propos d’une ulcération palatine


Correspondance 
E. Boutremans, Service de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-faciale
(Dr I. Loeb)
CHU Saint-Pierre,129,boulevard de Waterloo,1000 Bruxelles, Belgique


E. Boutremans1, M. Shahla1, L. Tant1, R. Javadian1, N. de Saint Aubain2, I. Loeb1



1. Service de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-faciale (Dr I. Loeb), CHU Saint-Pierre,  Bruxelles, Belgique


2. Service d’Anatomie Pathologique (Pr. A. Verest), Institut J. Bordet, Bruxelles, Belgique






Un patient de 38 ans d’origine polonaise est admis pour une  ulcération palatine peu  douloureuse évoluant depuis environ 3 jours. Elle se situe de part et d’autre de la

ligne médiane et elle expose en profondeur l’os maxillaire (fig. 1). Ce patient tabagique ne présente par ailleurs aucun autre anté- cédent particulier. L’interrogatoire systématique ne met en évi- dence ni prise de cocaïne, ni injection locale de vasoconstricteur ou d’autre  produit caustique pouvant expliquer la présence de cette ulcération. Le reste de la cavité buccale est exempt de toute autre lésion.
Une biologie courante révèle l’existence d’un syndrome inflam- matoire (CRP à 14,2 mg/L). Un scanner du massif facial ne révèle ni atteinte osseuse ni communication naso-buccale. Il nous oriente vers un diagnostic de lésion granulomateuse inflamma- toire ou infectieuse.
Un frottis de la lésion et un prélèvement biopsique sont réalisés. Dans l’attente des résultats, le patient est placé sous antibiothé-
rapie préventive (AugmentinÒ 4x1gr I.V.) et soins locaux à base
d’éosineÒ acqueuse 2 %.
Face à ce type de lésion les diagnostics différentiels suivants doi- vent être évoqués :
1. Ulcération  traumatique, iatrogène (automutilation, blessure par objet, injection de vasoconstricteur, médicaments



2. Néoplasies :
a. adénocarcinomes salivaires : carcinome adénoïde kystique, carcinome muco-épidermoïde, adénocarcinome à cellules aci- neuses, adénocarcinome polymorphe bien différencié, tumeur mixte maligne ;
b. Lymphomes 
c. Sarcomes 
d. Lésion métastatique
3. Troubles inflammatoires chroniques 
a. Périadénite de Sutton 
b. Sialométaplasie nécrosante 
c. Lichen plan érosif 
d. Lupus érythémateux discoïde 
e. Réaction lichénoïde ou lupique
4. Infections chroniques 
a. Tuberculose 
b. Syphilis primaire ou tertiaire 
c. Mycose profonde
5. Vasculite : granulomatose de Wegener
Les sérologies pratiquées à la recherche de syphilis et d’herpès se sont avérées négatives. Sous traitement, la lésion a involué, le fond de l’ulcération  s’est comblé en 10 jours, aux deux tiers, par du tissu de granulation 
(fig. 2)



Figure 1. Ulcération palatine
lors de la première consultation




Figure 2. Ulcération palatine après 10 jours
de traitement ; tissu de granulation recouvrant le fond de l’ulcération




?Quel est votre diagnostic 



E. Boutremans et al



Réponse

Il s’agit d’une sialométaplasie nécrosante.
Décrite pour la première fois par Abrams et al. en 1973, cette lésion,  relativement rare,  est une  ulcération inflammatoire non  néoplasique des  glandes salivaires  accessoires [1]. Elle représente environ   0,03 % des  lésions  diagnostiquées par biopsie [2].
Cette lésion presque exclusivement palatine a néanmoins été observée dans  d’autres localisations : régions  rétromolaire et linguale,   cavité  nasale,   sinus  maxillaire,   glandes salivaires majeures (sous-maxillaires, parotides et sub-linguales) [1-4].
La lésion  débute par  une  tuméfaction focale  douloureuse. Après quelques jours, celle-ci fait place à une ulcération à bords nets,  pouvant s’étendre jusqu’à  l’os, entourée d’un halo érythémateux [2]. Une  fois  l’ulcération installée, elle  occa- sionne peu de douleur [5].
Si l’étiopathogénie est mal connue, certains auteurs suggèrent qu’une   atteinte  physico-chimique des  vaisseaux  sanguins serait  responsable de  perturbations ischémiques au  niveau des glandes salivaires conduisant à leur infarcissement [1].
Les facteurs étiologiques évoqués sont  multiples : intuba- tions  difficiles, anesthésies locales, prothèses mal adaptées, vomissements violents   répétitifs (rencontrés dans  les  cas d’anorexie/boulimie), les infections locales, le tabac, la radio- thérapie ou  encore  la prise  de  cocaïne  [1-4]. Le diabète et l’alcoolisme chronique sont un terrain favorisant [1].
Du point  de vue anatomo-pathologique, l’ulcération  contient
un tissu  de granulation non spécifique,  on note  une  nécrose
des lobules  salivaires  de type  ischémique en périphérie, une néovascularisation et une métaplasie épidermoïde des canali- cules et des acini muqueux au centre de la lésion [2]. Contraire- ment aux carcinomes salivaires, l’architecture lobulaire  garde toute son intégrité dans la sialométaplasie nécrosante [1]. L’examen histopathologique réalisé sur le prélèvement biopsi- que a confirmé chez notre  patient le diagnostic de sialométa- plasie nécrosante.
La guérison est habituellement spontanée et s’observe en 7 à
10 semaines, laissant habituellement une cicatrice. Ce qui fut le cas chez notre patient.
Les ressemblances cliniques et histologiques avec les néopla- sies  orales  (carcinomes),   soulignent  l’importance d’un  dia- gnostic précis et précoce afin d’éviter d’éventuels traitements inutilement mutilants



Références


1. Femopase   FL,   Hernandez  SL,   Gendelman  H,  Criscuolo  MI, Lopez de Blanc SA. Necrotizing sialometaplasia: report of 5 cases. Med Oral 2004;9:304-8



2.     Piette E, Reychler H. Traité de pathologie buccale  et maxillo- faciale. De Boeck université, 1991, p. 1126




3. Fowler CB, Brannon RB. Subacute necrotizing sialadenitis: report of 7 cases and a review of the literature. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2000;89:600-9



4. Scully C, Eveson J. Sialosis and  necrotizing sialometaplasia in bulimia;  a  case  report.  Int  J Oral and  Maxillofac  Surg  2004
33:808-10




5.     Scully C, Gorsky M, Lozada-Nur F. The diagnosis and  manage- ment of recurrent aphtous stomatitis: a consensus approach. J Am Dent Assoc 2003;134: 200-7


 
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